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Fabrication et utilisation de la hache en pierre, chez les Amérindiens du Québec.

 

La fabrication d’une hache en pierre est un processus qui pouvait s’avérer laborieux, à l’époque de la préhistoire. Avant d’avoir accès aux haches de traite en métal (parfois appelées tomahawk), les Amérindiens du Québec devaient investir beaucoup de temps pour fabriquer cet outil. Ils devaient d’abord s’approvisionner en pierres peu cassantes, souvent sur le bord de l’eau. Puis les pierres devaient être polies et fixées à un manche.

Polissage de la pierre

Il fallait d’abord donner la forme désirée à la tête de hache. Pour ce faire, les Amérindiens commençaient par frapper la pierre avec une autre roche pour lui donner une forme générale¹. Par la suite, ils pouvaient se contenter de polir le tranchant. Par contre, ils choisissaient habituellement de polir toute la lame. Pour ce faire, ils se procuraient une lourde roche présentant une surface plane. Ils plaçaient du sable humide sur la surface, puis frottaient la tête de hache sur le sable. Le sable mouillé agissait comme un papier sablé sur la pierre, permettant ainsi d’aplanir toutes les irrégularités. Selon des expérimentations, ce travail d’abrasion pouvait prendre de 15 à 30 heures².

Emmanchement de la lame

Certaines têtes de hache trouvées dans les sites archéologiques sont encerclées par une cannelure. Celle-ci fait le tour de l’objet ou est présente sur trois de ses côtés. Les archéologues pensent qu’elle devait servir à insérer le manche. Le site internet d’archéofact contient une photo de tête de hache avec cannelure, reproduite par Michel Cadieux (photo à gauche).

Des expérimentations ont été réalisées afin de bien saisir l’usage de la cannelure. Selon les tests, les Amérindiens pouvaient utiliser une baguette dont le diamètre équivalait à la largeur de la rainure. Cette pièce de bois pouvait provenir d’un arbrisseau, d’une branche ou d’une racine. La baguette était amincie à son centre, puis pliée en deux³. La portion amincie faisait ainsi le tour de la cannelure. Les deux extrémités de la baguette étaient ensuite attachées ensemble, afin de doubler la largeur du manche. Sur le site internet de Technologies autochtones, on peut voir une tête de hache emmanchée de la sorte par l’artisan et éducateur Martin Lominy (photo à gauche).

Les têtes de haches qui ne présentent pas de rainure pouvaient simplement être insérées dans un trou, pratiqué dans un manche en bois. Ce trou pouvait être très bien ajusté, de manière à ce que la lame soit retenue, sans avoir à utiliser de colle ou de liens. Par contre, des écrits anciens nous renseignent sur une technique qui parait particulièrement efficace pour retenir la pierre.

Le missionnaire Jésuite Joseph-François Lafitau (1681-1746) décrit ainsi l’emmanchement des haches en pierre4 :

 

 «Il faut choisir un jeune arbre et en faire un manche sans le couper; on le fend par un bout, on y insère la pierre, l’arbre croît, la serre, et l’incorpore tellement dans son tronc qu’il est difficile et rare de l’arracher»

Si l’on en croit une discussion que la Contesse Drohojowka a eue avec un amérindien, ce processus pouvait prendre entre 20 ou 30 lunes (ou mois). L’ouvrage de la comtesse, Le Canada au commencement du XVIIIe siècle, peut être consulté sur internet. La page 145 décrit en d’autres mots la technique expliquée par Lafitau.

Expérimentation d’un emmanchement sur un arbre en croissance

L’emmanchement d’une tête de hache dans un arbre en croissance fascinait un client d’Archéophone. L’enseignant au secondaire a donc offert de prêter une terre à bois qui appartient à sa famille, pour nous permettre de tenter le coup.

Le 30 juin 2016, nous sommes partis à la recherche d’un jeune arbre ayant le potentiel de devenir un manche de hache. Notre choix s’est arrêté sur un hêtre d’environ 8 cm de diamètre. Mon collègue, Martin Lominy, a patiemment découpé une fente dans le tronc avec ses ciseaux, puis il a enfoncé la lame avec un maillet en bois. Le trou devait être parfaitement ajusté, afin que la tête de hache ne tombe pas avec le temps. Dû à ce travail minutieux d’ajustement, notre expédition en forêt a duré tout un avant-midi. Il nous faut maintenant attendre que l’arbre cicatrise autour du corps étranger, avant de l’abattre et de le sculpter en forme de manche. C’est donc une histoire à suivre…

J’ai tourné une vidéo pour documenter l’expérience. Ma conjointe, Nadine Dansereau, a joué le rôle de l’interviewer.

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Coupe des arbres

Selon Lafitau, les haches en pierre étaient efficaces pour couper des arbres de faible diamètre. La tâche était plus ardue pour les gros arbres, de sorte qu’elle incombait aux hommes. À partir d’une certaine grosseur, les haches n’étaient plus suffisantes et on devait avoir recours au feu. Le missionnaire décrit ainsi une technique d’abattage des plus inusités :

«(…) leur ancienne méthode, qui est de cerner les arbres, de les dépouiller de leur écorce pour les faire mourir, et de les laisser sécher sur pied. Quand ils sont secs, ils les abattent en appliquant le feu au bas du tronc et les minant peu à peu avec de petits tisons qu’ils ont soin d’entretenir et de rapprocher.»

Autres usages possibles de la hache en pierre

À en croire la comtesse Drohojowka (p. 146), les haches en pierre auraient davantage servi à la guerre qu’à couper des arbres. Cela ressemble d’avantage à une opinion qu’elle partage avec son interlocuteur amérindien, que d’un souvenir ou une tradition orale. Certains archéologues doutent d’une telle utilisation. Après tant de temps et d’efforts investis pour fabriquer un tel outil, il serait dommage de l’abîmer sur la tête d’un ennemi. D’ailleurs, leur arsenal de guerre comprenait déjà des massues, appelées casse-têtes, consacrées à cet usage. La hache de guerre ne serait apparue qu’à la suite du commerce avec les Européens. Ces derniers pouvaient approvisionner les Amérindiens avec des haches en métal. Plus faciles à transporter, plus solides et plus coupantes que les haches précoloniales, elles s’avéraient une arme de choix pour les combats rapprochés.

Il n’est pas exclu que la hache ait parfois servi à la chasse. Marc Laberge5 a repéré dans des écrits d’époque quelques citations à cet effet. Il nous apprend que les Amérindiens savaient repérer les arbres dans lesquels s’abritent les ours. Pour en déloger un, ils frappaient son arbre à coups de hache. Parfois, ils devaient aller jusqu’à le faire tomber. Une fois la bête sortie, ils l’assaillaient de coups. L’auteur indique également que l’on pouvait couper un arbre, plutôt que d’y grimper, pour se procurer un nid.


¹ Cette technique, appelée bouchardage, utilise la percussion ou le piquetage pour obtenir une ébauche (ou préforme).

² Cette estimation est tirée de l’article Les haches polies néolithiques, sur le site internet du Conseil départemental du Pas-de-Calais (France), direction de l’archéologie.

³ Pour cintrer ainsi le bois sans qu’il ne casse, il devait d’abord être humidifié, possiblement avec de la vapeur.

4 Tiré de Joseph-François Lafiteau, 1994, Mœurs des sauvages américains comparés aux mœurs des premiers temps, Tome 1, Éditions la découverte, Paris, pages 248 et 249

5 Marc Laberge, 1998, Affiquets, matachias et vermillon. Ethnographie illustrée des Algonquiens du nord-est de l’Amérique aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, Recherches amérindiennes au Québec, Montréal, pages 147 et 157